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Devoir de vacance
13 août 2019

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De 6-7 à 13-14 ans, nous vivions en bandes, nous étions des enfants de la rue. Nous vivions à une dizaine d’enfants mâles dans ce que nous appelions notre quartier, c’est-à-dire quatre rues formant un quadrilatère d’environ 100 mètres sur cinquante mais qui, alors nous paraissait plutôt vaste. Notre petite ville était ainsi divisée en cinq quartiers qui occupaient le centre ancien avec ses petites ruelles sales sur les murs desquelles, n’ayant guère d’autre choix, les habitants mâles ne se privaient pas d’uriner malgré les nombreuses inscriptions au pochoir déclarant qu’il était interdit de le faire. Tout le reste, essentiellement hors du tracé encore bien visible des anciennes murailles, n’était qu’un territoire inclassable où nous ne nous aventurions que rarement. Car ce qui faisait la cohésion et la force particulière d’une bande, c’est qu’il y en avait d’autres auxquelles s’opposer par tous les moyens possibles. Le centre, plus exactement le centre vital, le point naturel de ralliement de la bande à laquelle mon frère et moi faisions naturellement partie de par notre lieu de naissance et de vie, était constitué de deux petites places : la plus petite faisait une espèce de cour fermée dont un des murs était occupé par une fontaine dédié à la « vierge noire », sculpture de bois très ancienne, enfermée dans une vitrine hémisphérique, portant des vêtements dorés et argentés dont la couleur du visage expliquait l’appellation et qui était un lieu important de dévotion comme en témoignaient des fleurs toujours fraiches et des bougies toujours allumées. Il y avait là en effet, un petit escalier de quatre ou cinq marches conduisant au logement de l’un de nous qui nous permettait de nous asseoir pour discuter des heures de n’importe quoi et, surtout, d’établir des plans pour nos futurs exploits. C’était un peu notre parlement où se décidait tout ce que faisions. La seconde place, plus vaste, donnait sur une ouverture de l’ancien ghetto — mot dont nous ignorions alors la signification —, lieu semi-fermé où nous pouvions nous réfugier si nécessaire et qui, pour cela jouait un rôle important dans nos guerres. Elle avait également, sur un de ces côtés, un escalier qui montait à un premier étage mais où l’habitante, une vieille femme acariâtre, nous interdisait de nous asseoir, jetant par sa fenêtre, lorsque nous outrepassions sa loi, sur nous le contenu de pots de chambre , raison pour laquelle elle était une de nos principales souffre-douleurs. Sur cette place aussi un commerce, un atelier de tonnellerie tenu par un artisan boiteux mais qui faisait partie, parce qu’il nous rendait parfois quelques petits services, des gens que nous aimions bien et que nous appelions le père Bon car, même s’ils ne le méritaient pas, nous affublions du qualificatif de père tous les mâles de plus de trente ans, comme étaient mère toutes les femmes mariées quel que fut leur âge.

Au-delà de ces deux places commençaient deux autres quartiers, aux territoires tout aussi minuscules, tenus par deux bandes différentes : au Nord-Est la bande de l’hôpital, au Nord-Ouest celle du Mazel avec lesquelles nous entretenions des relations complexes faites de rivalités — chaque bande devait montrer sa supériorité aux autres —, d’échanges constants et même de complicités quand nous nous unissions contre un ou deux autres groupes.

Le sud de ce quadrilatère hautement politique était formé par une autre petite place autour d’un petit bassin et qui reliait les deux côtés est et ouest de notre quartier. À partir de là se définissait à l’Ouest la bande de la rue basse et, un peu plus au Nord, celle de la place au Blé. La dernière de ces cinq bandes était un peu plus plus distante, ce qui signifie qu’elle se trouvait presque à cent mètres de là, vers la limite sud des murailles, c’était la bande du foirail.

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