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Devoir de vacance
13 août 2019

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Par quel bout prendre cette tentative d’autobiographie insincère tant il me semble que la moindre des anecdotes ne peut se comprendre sans une préalable description de la totalité du contexte. Je me répète : nous étions des enfants de la rue où nous vivions en bandes dans un petit quadrilatère où tout habitant connaissait les autres. Notre vie, pour l’essentiel, se déroulait ainsi dans trois mondes très différents bien que pas totalement étanches : celui de l’école où nous attendions que le temps passe, celui de la famille où nous passions par nécessité le moins de temps possible et celui de la bande où le temps nous semblait toujours trop court même si, pour une très grande part, nous ne faisions rien d’autre que parler et écouter avec une certaine admiration les exploits de nos chefs auto-proclamés avant, par diverses épreuves, de monter dans la hiérarchie implicite.

Dans une vie où tout semblait obéir à un agenda écrit d’avance, la bande par sa capacité d’invention de stimulations diverses était en effet le lieu de l’imaginaire, de l’action et du rêve. Nos jeux les plus habituels étaient de jouer à la guerre.  Et nous menions deux sortes de guerres : celles, très fréquentes, et celles, moins fréquentes parce que plus risquées, qui nous opposait à une ou deux autres bandes tant les alliances et les mésalliances étaient fréquentes.

Notre culture principale était celle qu’au cinéma Le Royal, parterre et tribune à des prix différents, nous absorbions chaque fois que pour une raison ou une autre  — anniversaires, bonne note, paiement de petits travaux, petits vols, resquille, cadeaux d’un parent lointain venu rendre visite à la famille, etc. — nous pouvions nous en offrir l’entrée. C’était alors la grande époque des Tarzan, et Johny Weissmuller, plus tard Lex Barker, étaient nos idoles, ainsi que des westerns qui étaient pour nous de grandes sources d’inspirations. Les rôles étaient rapidement distribués : les petits, en gros ceux qui avaient moins de dix ans étaient les méchants sauvages, donc aussi, suivant le jeu décidé, les indiens. Le chef la bande était Tarzan et pouvait, ou non, choisir un fils chez les petits, ou, au choix, suivant l’inspiration du dernier film vu, le shérif, le trappeur… donc le héros. Le reste de son groupe ayant des rôles de simples soutiens : tuniques bleues, amis, etc. Le jeu consistait à laisser les petits trouver des cachettes parmi les multiples possibilités d’un quartier resté très médiéval offrant de nombreux passages transversaux plus ou moins officiels, des cours intérieures plus ou moins communicantes, des caves, des greniers, des couloirs plus ou moins sombres, des escaliers… Les grands parcouraient le quartier à leur recherche et devaient en tuer ou en capturer le plus possible tout en essayant de se faire blesser ou tuer eux-mêmes. Nos armes étaient des pommes de pain, des flèches et des arcs dont la fabrication occupait une partie de notre temps, quelques fusils ou pistolets qui tiraient des bouchons et diverses formes de sabres, épées, couteaux que nous avions sculptés dans des branches. Ces jeux simples et enfantins éteint pourtant responsables d’une bonne part de notre mauvaise réputation dans le quartier car sous l’excitation du jeu, les écorchures de genoux, les bosses, les habits déchirés, les courses désordonnées dans tous les espaces y compris privés dont nous connaissions tous les secrets dérangeaient suffisamment les esprits convenus et frileux de la petite bourgeoisie commerçante et il n’était pas rare que l’un d’entre eux, muni du fréquent martinet de l’époque, d’un balais, ou plus simplement d’un bâton quelconque nous chasse d’un espace qu’il considérait lui appartenir ou réussisse à attraper l’un d’entre nous — ce qui permettait aux autres de s’échapper — quand coincé dans une cour dont nous n’avions pas réussi à escalader le mur ou dans un escalier dont nous n’avions pas réussi à ouvrir une fenêtre, qui séparaient un espace d’un autre et nous mène par les oreilles chez le parent concerné, avec des conséquences diverses suivant la psychologie ou la dépendance de celui-ci.

La guerre entre bandes était souvent plus violente et reposait sur ce que nous considérions être des motifs très graves.

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