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Devoir de vacance
13 août 2019

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Se répéter n’est pas toujours radoter : nous étions des enfants de la rue mais nous étions aussi des enfants de la guerre car les naissances des plus grands ou des plus petits s’échelonnaient entre 1935 et 1945. Or cette réalité guerrière nous avait imprégnés à plus d’un titre. D’abord par des atteintes diverses comme la mort de mon père ou le frère d’un d’entre nous fusillé par les allemands en 1944 lors d’une escarmouche avec le maquis, et des atteintes moins directes mais cependant ayant marqué les jeunes esprits de la bande comme le massacre, vers la fin de la guerre, de 28 jeunes résistants torturés et fusillés alors que, trahis, ils s’étaient rendus sous la promesse d’être bien traités.

Cette guerre avait aussi laissé des traces matérielles comme la petite caisse de grenades allemandes laissée dans le grenier de mon grand-père ou, dans une petite vallée alors déserte, à la limite ouest de la ville et qui avait certainement servi de champ de tir les nombreuses douilles que nous nous amusions à retrouver ou les quelques casques déformés ou même troués. Tout cela, bien sûr, excitait notre imagination et rendait nos affrontements entre bandes plus violentes que nos jeux internes et il suffisait de peu pour qu’ils explosent : un d’entre nous qui, dans nos jeux, pénétrait malencontreusement dans le territoire adverse, un objet de l’un d’entre nous perdu ou oublié et qu’une des bandes adverses exhibait en trophée, une dénonciation à un de nos parents ou à un commerçant, une rivalité commencée sur des auto-tamponneuses lors de la venue régulière de manèges dans la ville… Les prétextes ne manquaient pas, le fait d’aller à l’école laïque ou à l’école religieuse, par exemple. Il fallait alors élaborer des plans de bataille pour s’emparer d’un ou deux adversaires et les enfermer plus ou moins longtemps dans nos caves de sorte que nous soyons sûrs qu’ils seraient punis par leurs parents, s’emparer de leurs cartables avant qu’ils rentrent à l’école, déchirer leurs vêtements, voler diverses de leurs possessions, s’en prendre — lorsqu’ils en avaient, à leurs petits frères (car même dans ce cas nous ignorions les filles à nos yeux gibier de peu de valeur), etc… Les escarmouches étaient donc plus violentes et se terminaient le plus souvent, des deux côtés, par des bleus, des bosses, des écorchures diverses ou des vêtements déchirés. Il arrivait que ce soit pire : je me souviens ainsi du poignet cassé d’un de mes camarades âgé de dix ans ou — mais ce fut le pire jamais atteint — lorsque l’un d’entre nous fut capturé par une bande adverse et que, sa culotte ayant un trou au niveau de l’anus, l’un de ses tortionnaires eut l’idée d’y enfoncer l’extrémité de la pompe du garage de son père et de le faire gonfler. Heureusement un adulte intervint à temps mais l’enfant, qui aurait pu en mourir, dut quand même faire un court séjour à l’hôpital etc. Mais à cette époque et dans nos familles les enfants étaient moins sacrés : il n’y eut ni plainte, ni enquête, ni poursuite.

La plupart de ces combats avaient lieu dans la ville même mais il n’était pas rare non plus de s’arranger pour qu’ils aient lieu à l’extérieur dans deux ou trois endroits privilégiés qui offraient de très nombreuses possibilités à nos imaginations combatives : la pente très rocheuse et plutôt abrupte qui menait au plateau du sud et à un ermitage à son sommet ; une petite vallée très étroite et longue d’un ruisseau qui se jetait dans la rivière ; la rivière elle-même et ses abords que nous appelions alors les roubeyrolles.

Malgré cette férocité d’enfance, il y avait des règles. La plus importantes était de ne jamais « cafter », c’est-à-dire dénoncer qui que ce soit aux adultes, essentiellement les parents et les enseignants. La seconde, importante à cette époque où des armes de guerre se trouvaient assez facilement, de ne jamais s’en servir. La troisième de ne pas s’acharner sur un prisonnier quand il ne pouvait plus résister. La quatrième de ne pas s’en prendre aux parents.

D’autres encore, parfois incompréhensibles, comme se battre tel ou tel jour, par exemple les jours de match, la plupart des familles en cette époque où les distractions étaient rares s’y retrouvant et les enfants d’une bande pouvant alors être amené à jouer avec les enfants d’une bande adverse, ou les jours de fête ou le jour du critérium cycliste, des processions, ou dans des lieux comme les églises, la cathédrale, le cinéma, le marché hebdomadaire du vendredi, tous représentant quelque chose comme une citoyenneté collective.

Ces jours avaient d’autres jeux propres.

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