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Devoir de vacance
13 août 2019

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Je lis, j’ai lu, toujours, beaucoup, souvent, partout, n’importe quoi… Il me semble que j’ai toujours lu. Grâce aux lectures tendrement attentives que me faisait ma grand mère dès ma plus petite enfance, je savais lire avant la fin de mon école maternelle. Et je me suis toujours demandé pourquoi je lisais. D’où me vient ce besoin angoissant de m’abîmer dans ces pages couvertes de signes dont j’éprouve la plus grande difficulté à m’extraire, la tête hors du monde. J’ai dû lire des centaines de livres, un calcul sommaire m’apprend que si j’estime avoir commencé à lire à six ans, avec un rythme moyen (sûrement sous-estimé) de deux livres par semaine, j’en aurai lu environ 5500. C’est peu face aux millions de livres disponibles. C’est trop devant la mémoire qu’il m’en reste. De combien est-ce que je me souviens ? Vraiment : une centaine ; vaguement le double, peut-être le triple. La lecture est un énorme gâchis de temps qui me vole une part importante de mon existence. J’aurais certainement mieux fait de cultiver mon jardin (il m’en serait sans cesse donné le plaisir des légumes), mes relations sociales ou de me perdre dans les nuages (la contemplation est une autre façon intense d’être). Lire n’est pas vivre ; lire, d’une certaine façon, est décider de ne vivre que par procuration. Que m’importe au fond la vie, les aventures, les amours de tel ou tel personnage dans tel ou tel livre ? La vie, la vraie, m’en apprend tous les jours davantage, il me suffit pour cela d’être à l’écoute de tel ou tel individu rencontré par hasard ici ou là et d’être disponible à cette écoute. D’autant que, sur ce terrain, la concurrence est rude entre le livre, le cinéma ou la télévision : je ne suis pas sûr que la comparaison soit au bénéfice du livre. Je ne lis pas non plus pour l’exotisme, la découverte d’univers étrange, mieux vaut en effet regarder des magazines de reportages ou des reportages à la télévision. Je sais tout ça… Pourtant je ne peux m’empêcher de lire… Pourtant je ne lis pas, comme cette amie avec qui je visitais récemment un musée exposant des « céladons » pour évoquer l’Astrée d’Honoré d’Urfé (je ne l’ai jamais lu, du moins je crois…) et la couleur verdâtre de son corps de noyé retiré de l’eau. Je ne lis pas non plus par utilité n’ayant la nécessité ni de rendre compte de mes lectures ni de briller en société ni de vendre des livres. Je ne lis pas par nécessité de culture — ah, cette prétendue utilité de la lecture que l’école affirme sans cesse — car la culture ne m’aide que faiblement à affronter le pragmatisme du quotidien. La lecture m’est comme un trou noir absorbant pour un temps les entropies de mon existence. Lire est peut-être une façon simpliste d’ignorer les incohérences de la vie, de trouver, dans les motivations imaginaires  des histoires écrites, une compensation à l’impossible maîtrise des lendemains. Reste la réponse esthétique : la beauté de la langue. J’y suis sensible, j’aime les belles phrases, mais si la raison profonde était celle-là, alors c’est la poésie que je devrais lire car, en elle, il n’y a pas de superflu, la bonne poésie est toute d’esthétique, ce qu’elle cherche à dire c’est la beauté profonde des choses qu’elle dit dans la langue la plus belle possible, la langue la plus avare, la plus juste. Or je lis peu (très peu) de poésie.

Peut-être que je ne lis que pour écrire, me mesurer à des écritures autres, leur voler — consciemment (ou inconsciemment) — des phrases qui me provoquent au plagiat ou au prolongement. Je ne lirai alors que pour être dans le mouvement abstrait de l’écriture comme le peintre qui ne regarde les tableaux des autres que pour s’imprégner de leurs techniques et enrichir ainsi la sienne. Pour cerner les possibles et les impossibles de cette écriture que je porte vaguement en moi mais qui a tant de mal à se concrétiser. Lire par réaction… Pourquoi pas. Y a t-il d’autres vrais lecteurs que ceux  là ?

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