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Devoir de vacance
25 août 2019

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La plupart de nos vies d’enfant sont banales, sans intérêt, éclairées seulement, parfois, de loin en loin, de tous petits événements qui sortent de l’ordinaire. Pourtant, elles acquièrent, chez ce même enfant devenu adulte puis vieillissant, un aura qui ne cesse de croître avec l’âge comme si chacun de nous, approchant de sa fin, éprouvait comme la nécessité de se convaincre qu’il avait bien vécu. Comme les saumons, revenir à sa source. Avec le temps, les souvenirs s’estompent et nul n’est plus si certain de bien des drames ou anecdotes de son vécu qui lui paraissent pourtant totalement authentiques dont il garde les goûts, les sensations, les notions. Nous laissons la vie derrière nous. Les lieux et les moments reculent, au milieu de la fuite rapide du temps, nous avons perdu de vue l'enfance, puis l'adolescence, puis cette époque intermédiaire où nous participions de deux âges : alors nous commençons à apercevoir le terme de notre existence. Aussi, le peu que nous pouvons sauver de l’oubli nous paraît essentiel. Telle anecdote, en soi, même si elle paraît plus importante que telle autre, reste souvent bien dérisoire aux yeux d’autrui. Se dire c’est vouloir croire que l’on n’a pas été pour rien. Qui sait même si nous ne devenons pas, à partir d’un certain âge, imperméables aux faits nouveaux, et si les plus forts plaisirs de l'homme mûr peuvent être autre chose que des sentiments d’enfance revivifiés que nous envoie par bouffées de plus en plus rares un passé de plus en plus lointain. Plus que biologique, l’enfance est en effet un état d’esprit, elle est ce que nous perdons lentement chaque jour en avant de nous, elle est curiosité permanente, découvertes infinies, insouciance et résilience. Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre. Dans mon enfance, j’avais le sentiment qu’il ne pouvait jamais y avoir deux jours identiques et que chacun, sous ses apparentes routines, me réservait toujours quelques surprises. Car, si on ne l’élève ni dans la soumission, ni dans la peur du monde, l’enfant ne craint rien, ne prenant que très rarement des risques qu’il n’est pas capable d’assumer. L’enfant à la fois s’affronte au monde et l’apprivoise. Chaque jour lui est défi et découverte. Aussi si je voulais rappeler les quelques trois mille jours qu’a été mon enfance consciente il me faudrait passer presque autant de temps à l’écrire que celui qu’il m’avait fallu à la vivre. Or c’est sur ce chemin que m’engage le travail dans lequel, inconscient de ce vers quoi j’allais, je me suis plongé. Toucher à la mémoire de l’enfance est redoutable car bientôt, tirant un fil on détisse toute la toile, on ne vit plus qu’en elle. Il n’y a plus de souvenir anodin, chaque souvenir est une porte qui s’entrouvre sur ce qui fut et fait entrevoir d’autres portes qu’il est aussi tentant d’entrouvrir. Dire cette petite phrase banale : « je me souviens », c’est remplacer le temps vécu par un autre réel ou fantasmé, pénétrer dans un autre univers au risque d’autant plus grand de s’y perdre qu’il enferme ce que nous ne serons jamais plus mais porte en lui ce que nous allions être, un être en devenir, fait uniquement de possibles, nous faisant oublier que notre vie présente ne laisse plus rien à attendre. Peut-être est-ce pour cela que les vieillards, incapable de se souvenir de ce qu’ils ont fait la veille, ou même dix minutes auparavant, sont encore capables d’évoquer avec précision de nombreux faits de leur jeunesse.

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