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Devoir de vacance
3 septembre 2019

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Pour mon frère et moi, notre premier voyage, le voyage vers la mer, fut une véritable aventure et une aventure excitante. Il y eut d’abord notre premier long trajet dans la toute neuve 2 CV grise de mes grands parents. Presque 200 km, par des routes étroites d’un magnifique paysage de montagne. Chaque tour de roue nous faisait découvrir quelque chose : rivières, villages, forêts, vallées profondes, fermes isolées. Il me semblait, n’étant jamais allé aussi loin, n’ayant jamais vu de tels à-pics que nous affrontions d’immenses dangers, que nous risquions, à tous moments, de basculer dans les vides que nous longions d’autant que la voiture, à chaque virage en épingle à cheveux balançait fortement et que mon frère et moi en accentuions le mouvement en nous jetant l’un sur l’autre à la grande  frayeur de ma grand mère qui n’en menait pas large et ne cessait, en vain, de nous dire d’arrêter. Le trajet étant trop long, il fallut, bien sûr faire un pique-nique. Mon grand père choisit un point de vue qui nous donnait un aperçu inoubliable sur l’étagement des crêtes d’autant que le temps était magnifique mais, à la grande déception de mon frère et de moi, si nous avons découvert un monde dont nous ignorions tout, nous n’avons pas vu la mer. D’ailleurs, à la fin du trajet ce n’est pas à la mer que nous sommes arrivés mais dans une ville qui, comparée à celle dans laquelle je vivais me parut gigantesque. Plus exactement même, après quelques arrêts pour interroger des passants et un agent au sujet de l’adresse dont disposait mes grands parents, nous sommes arrivés chez la nièce de ma grand-mère. Je revois un grand appartement, comme je n’en avais jamais vu, donnant sur une grande place, rempli de meubles, d’objets et de tableaux qui, pour moi, ne pouvait être que celui de personnages de la plus grande importance. Aussi, alors que d’habitude nous ne tenions pas en place, mon frère et moi étions comme paralysés et restions figés derrière notre grand mère. La dame qui nous reçut me parut très élégante, il nous fallut l’embrasser, ce que nous avons fait timidement nous demandant comment nous comporter. Elle nous offrit un goûter et à boire puis, au bout de quelques temps, dit à mes grands-parents : « Bien, on y va… » et il fallut la suivre. Elle monta dans une belle voiture dont je ne me souviens que de l’élégance noire et de l’envie que j’avais d’y monter mais nous sommes partis, elle devant, mon grand-père s’efforçant de suivre. Nous avons quitté la ville. Nous ne sommes pas arrivés à la mer mais, assez rapidement me semble-t-il dans un village que nous avons traversé pour emprunter un chemin de terre et pénétrer dans la cour d’un grand bâtiment qui me parut être un château. Je revois encore l’air étonné de mon frère qui devait faire pendant au mien. Il n’y avait pas la mer, mais une sorte de cour-jardin fermée par des arbres immenses et une allée de gravillon où se sont garées les voitures. Des insectes invisibles, dont j’appris plus tard qu’ils s’appelaient des cigales faisaient entendre un incessant rythme strident cependant pas désagréable. La dame nous précéda, nous fit visiter la grande maison qu’elle appelait son mas, désigna une chambre à mes grands parents, puis une autre pour mon frère et moi, elle nous montra aussi une cuisine et une salle à manger, dit qu’elle nous avait fait préparer un repas et qu’elle reviendrait dans quelques jours pour le week-end. Je n’en revenais pas, je ne pouvais pas croire que cette dame était une parente, qu’elle était la sœur de celui que j’appelais l’oncle Georges et que tout ce que je découvrais était à elle. Comment quelqu’un pouvait-il être aussi riche ? J’aurais juré qu’aucun des personnages que dans ma ville on appelait les bourgeois n’en possédait autant.

Elle partit nous laissant propriétaires du domaine. Il était tard, la journée avait été longue, nous étions un peu fatigués, nous avons mangé le repas préparé dont j’avoue n’avoir gardé aucun souvenir. C’est à table que ma grand-mère nous apprit ce qui se passait : « Nous avons été invités par la fille de tante Marie, elle est vraiment très gentille, vous verrez demain, vous pourrez commencer à visiter, c’est le mas de leurs vignes qu’ils nous prêtent pour un mois. Vous avez vu comme elle est aimable alors vous devrez être bien sage et ne rien abîmer chez elle… » etc. Bref, une petite leçon de politesse et de savoir-vivre mais si je comprenais bien tous ses mots, je n’étais pas sûr d’en saisir la signification concrète et tout ce que cela impliquait et impliquerait. Aussi j’avoue que nous n’y avons pas prêté plus attention que cela, nous avions déjà très envie de nous lancer à l’aventure, visiter toutes les pièces de la maison, courir les environs du mas, chercher ces insectes qui semblaient vouloir rythmer la chaleur de la nuit mais, qui, d’un seul coup cessèrent leurs compétitions sonores. Dehors le ciel était empli d’étoiles mais ça, dans notre petite ville de montagne, nous y étions habitués et il n’y avait pas là de quoi nous intriguer. Je demandai « et la mer… ?». « Elle est à une vingtaine de kilomètres dit mon grand-père, nous y irons un de ces jours… » « Et maintenant, c’est assez pour aujourd’hui ajouta grand-mère, il faut aller vous coucher».

C’est ainsi, qu’à onze ans, pour la première fois de ma vie, je couchais avec mon frère dans une même chambre mais ce qui nous étonna davantage encore, c’est que mon grand père et ma grand mère partageaient également une seule chambre comme si c’était absolument normal. Il faisait chaud, nous avons laissé la fenêtre ouverte. La nuit, nous avons fait aussi une autre découverte, des insectes qui, toute la nuit, tournaient autour de nous dans un son agaçant allant du grave à l’aiguë et qui, si on ne se débattait pas, nous piquaient sans cesse. C’est ainsi que nous avons fait la connaissance des moustiques et que nous avons passé une nuit presque blanche. Et ce fut une autre leçon de vie, le luxe n’impliquait pas un confort complet.

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