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Devoir de vacance
16 septembre 2019

55

Peut-être est-il temps, maintenant, de parler de mes oncles. Mes vrais oncles, pas l’oncle Georges dont le titre était abusif, mais des frères de ma mère, les enfants de mes grands parents. Ils étaient deux. Le plus âgé était l’aîné de la famille, le plus jeune était le puiné, ma mère étant entre les deux. J’ai longtemps considéré le plus jeune de mes oncles comme un grand frère car, au début de mon enfance il était encore célibataire et que nous avons, quelques années, partagé ma chambre et le même lit. C’était un adolescent puis un homme d’une grande gentillesse et qui, je crois, nous aimait beaucoup mon frère et moi, mais qui n’eut pas une grande influence sur notre vie car il manquait un peu de personnalité et d’autorité. En cela il ressemblait beaucoup à mon frère. Je parlerai plutôt de sa femme qui, elle, joua un rôle non négligeable à la fin de mon enfance et au début de mon adolescence. Mais, chaque chose en son temps.

Mon oncle aîné était une personnalité plus forte et qui, de plusieurs façons m’intriguait car je ne l’ai connu que marié et donc vivant hors du cercle familial de mes grands parents, donc comme une autorité extérieure. C’était le seul, épisodiquement, à essayer d’avoir un peu d’influence sur moi et qui y réussissait parfois car, d’une certaine façon, son personnage m’intriguait, d’une part, même si cela peu paraître étrange, parce qu’il était chauve ce qui, à mes yeux d’enfant était quelque chose comme un signe extérieur de puissance, et assez trapu. De plus, il paraît qu’il avait été footballeur dans l’équipe sportive de la ville. Mais surtout ce qui m’intriguait en lui, c’était les parts de mystère que je percevais au détour des conversations des adultes. Il avait eu la vie des jeunes hommes de la deuxième guerre mondiale mais, ne me rendant pas vraiment compte de ce qu’avaient pu vivre les autres, je considérais ce que je percevais de sa vie comme énigmatique et extraordinaire. Né, me semble-t-il en 1924, il avait dix sept ans lorsque se déclara la guerre. Trop jeune pour être enrôlé, il resta donc chez ses parents. Puis, si j’ai bien compris et analysé les quelques bribes de conversation qui y faisaient allusion, vint le STO, le Service du Travail Obligatoire qui, dès 1943, alors qu’il avait dix neuf ans, le menaçait. Il fut réfractaire et dut donc aller se cacher, je me demande encore pourquoi, non dans les nombreuses montagnes, les multiples maquis, ou les innombrables fermes perdues de la région mais à près de mille kilomètres de chez lui dans la minuscule ferme de la famille bretonne de mon père. Je me suis toujours demandé pourquoi ce choix, pourquoi il choisit de traverser une bonne partie de la zone libre, mais aussi de la zone occupée pour trouver un refuge là. Il me semblait que, faisant cela, il prenait un risque énorme d’être arrêté et contraint à accomplir ce que, justement, il fuyait et je lui inventai des aventures héroïques qui m’aidèrent souvent à m’endormir. Quand je fus assez grand pour le connaître vraiment, c’est à dire vers 1946, à l’âge de quatre, il était directeur d’une agence bancaire de la ville mais ce qui, à mes yeux, en faisait toute le prix, c’est qu’il avait une petite voiture. Bien qu’aujourd’hui encore, soixante dix ans après, je revois avec assez une grande précision l’image de cette petite Renault noire à deux place, je n’arrive pas à me souvenir si c’était c’était une primaquatre, une juvaquatre ou une celtaquatre. Peu importe car c’était dans cette voiture qu’il transportait, en plusieurs voyages, avant que mon grand-père eut sa 2 CV Citroën, toute la famille lorsqu’il s’agissait de dépasser les dix kilomètres autour de la ville ou lorsque notre destination ne se situait pas sur la petite ligne de chemin de fer qui la traversait. Si les adultes occupaient le siège avant disponible, les enfants étaient entassés, derrière les deux sièges, dans un minuscule espace vide. Je sens encore aujourd’hui l’odeur puissante d’essence que nous supportions car ces sorties étaient exceptionnelles mais qui nous rendait inévitablement malade et obligés de vomir à destination. Situation qui, mêlant inextricablement plaisir et déplaisir, envie et rejet était comme une métaphore de l’existence car nous n’avions pas le choix d’accepter ou de refuser, nous devions obéir mais nous savions aussi qu’au bout de cette torture olfactive d’une approximative demi-heure de trajet nous allions trouver une pleine journée de plaisirs divers.

Cet oncle était bachelier — comme ma mère je crois —, situation assez rare à l’époque. Il était ainsi ami de la plupart des hommes qui comptaient alors dans la petite ville avec lesquels il jouait régulièrement au poker. Mais, n’ayant pas leurs ressources financière, il lui arrivait de faire des emprunts temporaires et non déclarés à la caisse de sa banque. Il finissait toujours par les rembourser et cela aurait pu durer longtemps si, je ne sais qui, un jour, s’en aperçut. La faute se régla à l’amiable, sans appel à la justice, mais il dut démissionner. Je ne sais ce qu’il fit pendant un certain temps, mais, après quelques années, il devint paradoxalement instituteur et, débutant dans ce titre, nommé dans les écoles les plus invraisemblables du département : celles qui étaient régulièrement bloquées par la neige, celle ou tous ses élèves appartenaient à la même famille nombreuse, celles qu’il ne pouvait atteindre qu’après plusieurs heures de marche, celles où il n’y avait qu’une seule classe pour tous les enfants quel que soit leur âge. Il racontait assez souvent, que, faute d’autre personnel compétent à une distance raisonnable, il lui avait même fallu aider une femme à accoucher dans sa voiture alors qu’il s’efforçait de la conduire à l’hôpital de la ville. C’était pour moi un personnage haut en couleur que j’aimais beaucoup, qui m’a laissé une impression forte et qui, malheureusement, suite à de nombreux accidents de la vie, mourut trop jeune pour que je puisse réellement l’apprécier.

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