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Devoir de vacance
19 septembre 2019

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développant ainsi un vrai complexe d’infériorité qui se traduisait notamment par une timidité maladive. Alors que nombre de mes camarades que je jugeais plutôt imbéciles n’hésitaient ni à donner leur avis sur n’importe quoi ni à échanger avec des adultes, je n’osai, pour ma part, jamais intervenir devant quelque public que ce soit. Il me fallait, avant de parler, tourner plusieurs fois ma langue dans ma bouche et quand je me décidais à le faire, c’était souvent pour subir des moqueries car personne ne comprenait ce que je disais ou voulais dire. Ainsi en classe, je n’intervenais jamais sans qu’on me le demande et il m’arrivait même de feindre d’ignorer la réponse ou de la rendre un peu fautive pour que mes camarades ne me prennent pas comme un prétentieux car, lisant énormément, toujours plongé dans mes volumes fétiches de l’Encyclopédie Quillet, je savais énormément de choses qui « n’étaient pas de mon âge », même si ce savoir n’était la plupart du temps que livresque. Et ce défaut je l’ai gardé car je n’ose que très rarement d’intervenir dans des conversations sur des faits ou des événements où se disent avec une certitude forte des erreurs, des incompréhensions que je n’ose corriger de peur, d’une part, de me voir contredit ce qui entraine la discussion vers des défis stériles, d’autre part de passer pour un pédant. Il m’arrive aussi, comme tout le monde, de me tromper mais, entre amis notamment je me garde bien souvent d’avancer un argument ou une connaissance dont je n’ai pas la certitude absolue. Le plus souvent, je me tais et me livre à une récapitulation intérieure de tout ce que je pense savoir autour du sujet mis sur la table. J’ai déjà dit combien, dans le contexte scolaire, je m’amusais souvent à feindre une totale inattention tout en préparant mentalement une réponse au cas où l’enseignant, ne pouvant résister à la provocation que constituait ma mise à l’écart volontaire de son discours, se mettait à m’interroger. Cela allait de pair avec le personnage de mauvais élève que je jouais n’hésitant pas à perturber une classe par un lâcher de hanneton — mon insecte préféré pour cela tant son vol était bruyant — auquel j’avais fixé un fil à la patte, de libellule, d’abeille ou de tout autre insecte dont je savais qu’il allait provoquer un désordre souvent surjoué par mes camarades de classe. Je les enfermais en avance dans de petites boîtes d’allumettes que j’ouvrais au-dessous de mon pupitre le plus discrètement possible. Je dois cependant avouer que je me suis fait souvent prendre car la plupart des enseignants menaçaient la classe de punitions collectives si le coupable ne se dénonçait pas. À l’école primaire, c’était le retrait de bons points ou un nombre imposant de lignes à recopier qui, si l’orthographe n’en était pas parfaite, devaient être réécrites. Au lycée c’étaient des heures de colle. J’ai aussi fait pire que cela n’hésitant pas en cinquième à allumer un pétard dans la classe d’un professeur particulièrement faible ou de mettre une souris blanche dans la poche d’une jeune professeur de mathématiques. Ces enfantillages avaient un but essentiel : me faire admettre de la plupart de mes condisciples, échapper à l’étiquette de bon élève qui me poursuivait. Cette attitude désorienté beaucoup mes professeurs car elle n’était pas celle, plus classique, des autres bons élèves qui, eux, mais le plus souvent elles, répondaient poliment aux questions, ne feignaient pas d’écouter, ne perturbaient jamais la classe et se comportait en tous points comme la doxa scolaire l’exigeait. Mon attitude générale était plutôt celle des cancres avec qui je copinais et qui m’apprenaient beaucoup de choses sortant du domaine scolaire comme où trouver des prunes ou des pommes faciles à voler, comment resquiller en groupe en demandant à un membre du groupe, pour lequel nous nous étions cotisés pour payer sa place, à aller ouvrir discrètement, dès que le noir s’était fait dans la salle, l’obligatoire sortie de secours du cinéma nous permettant ainsi d’entrer, comme des sioux en guerre, pour suivre la séance. Si cette attitude avait été la mienne tout au long des cinq ans d’école primaire, elle s’était encore accentuée parce que le milieu que je fréquentais au lycée n’était plus le même que celui de ma bande de quartier. Il y avait bien sûr quelques fils de bourgeois dans mes classes primaires, mais ils étaient en forte minorité alors qu’au lycée je m’y trouvais tout d’un coup complètement immergé et qu’il me fallait réagir ou accepter de perdre une part importante de ce qui fondait mon identité : fils de la populace au milieu de la future élite.

C’est ainsi, par exemple, que dès la sixième je me fis remarquer en provoquant une révolte tranquille des élèves. Mais il faut là quelques explications. À cette époque, dans ce lycée de cette petite ville fortement conservatrice, le conseil des professeurs exigeait que les élèves mâles portent une cravate et je trouvai cela tout à fait absurde car se signe vestimentaire m’éloignait encore de tous mes amis d’enfance. Aussi je réussis à convaincre quelques uns d’entre nous d’aller plaider notre cause auprès du proviseur qui nous reçut poliment et refusa tout aussi fermement. Nous avons alors décidé, non de nous battre contre cette mesure car nous aurions perdu, mais de la contourner et la rendre ridicule. J’avais dans les copains de ma bande le fils d’un commerçant d’habits dont je savais, car nous y avions souvent joué, qu’il avait à la sortie de la ville où s’entassaient, depuis des années et peut être des générations, toute sortes de textiles invendus sur les tas desquels nous jouions à nous battre et à sauter. Parmi ces invendus, nous avions remarqué un lot de cravates mais, plus intéressant, un lot tout aussi important de nœuds papillons aux formes les plus extravagantes certainement destinés à des déguisements de carnaval. Il y en avait assez pour l’ensemble des mâles des trois classes de sixième dont presque tous acceptèrent de nous suivre dans notre révolte. Nous en avons donc fait une distribution et, le matin de la rentrée des vacances de Pâques chacun, au lieu de sa cravate habituelle, arborait un nœud plus ou moins spectaculaire. Pour ma part, j’avais choisi un nœud papillon de clown, immense et orné, sur un fond jaune vif, de pois rouges et bleus criards. Les moins audacieux avaient choisi des nœuds papillons plus classiques depuis le noir de cérémonie, en passant par des blancs ou d’autres couleurs encore. Les plus audacieux avaient choisi d’autres parures encore qui allaient de la lavallière à des ornements incroyables qui occupaient une bonne part de leur visage d’enfant. Bref tout cela tenait du déguisement. Les réactions ne furent pas du tout celles que nous attendions. La plupart des professeurs se contentèrent d’en rire, de se moquer gentiment de nous ou de faire comme s’ils ne remarquaient rien. Le proviseur lui-même qui pourtant passait tous les matins dans les couloirs avant que les élèves rentrent en classe ne dit rien. Nous poursuivirent la plaisanterie plusieurs jours sans plus de réaction jusqu’à ce que, lassés, sans pourtant remettre nos cravates, nous nous sommes débarrassés de ces ornements encombrants. Rien ne se passa. Personne, jamais ne nous demanda de remettre nos cravates.

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