Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Devoir de vacance
8 février 2021

68

L’inactivité relative à laquelle me contraignent à la fois la Covid (plus de piscine) et la météo (trop de pluies pour pédaler ou marcher) privent mon cerveau de toute énergie. Manque certain de cette endorphine qui fait toute notre raison de vivre. Aussi, bien qu’il fasse froid, j’ai profité de nuages hauts signant la suspension de la pluie, pour partir faire du vélo. Il fait vraiment froid mais ce n’est que quand mon index gauche fut dur et insensible comme du bois mort que je me décidai à rentrer. Comme, prudent, j’avais emprunté un circuit court (entre 20 et 30 kilomètres suivant les chemins), je n’avais besoin d’être attentif ni au paysage ni au parcours que mon vélo connaissait parfaitement. Je pédalais donc en cerveau libre et, comme souvent dans ce cas, je pédalais dans la nostalgie. Je repensais à ce que j’avais écrit quelques jours auparavant et, je ne sais pourquoi, cela m’a mis sur la voie de mes amis d’enfance. En fait j’ai eu deux périodes d’amis d’enfance, celle avant ma réussite au concours d’entrée en sixième, qui était celle des enfants de ma rue, tous de familles pauvres et vivant dans des semi-taudis souvent sans toilettes ni salles de bain, et celle des amis que le lycée m’a contraint à construire, fils de petits bourgeois qui, pour moi, étaient des grands bourgeois, vivant dans des maisons avec toilette, salle de bains et voitures. Le premier groupe fut celui des amis des deux ou trois rues dans lesquelles nous vivions en permanence entre cinq et, en ce qui me concerne, dix ans. Nous formions une communauté d’une dizaine d’enfants extrêmement soudée où les plus grands protégeaient les plus petits et s’il arrivait que nous nous disputions, nous faisions corps lorsqu’il s’agissait de se défendre ou d’agresser, les bandes d’enfants des autres rues. Curieusement alors nous ne nous appelions pas par nos prénoms mais par nos noms de famille. Je me souviens de Dussault, Domergue, Baffie, Jarousse, Dubois, Soutou, … mais je ne parviens pas à mettre un prénom sur des visages qui deviennent de plus en plus flous. Tous mes amis de cette époque, condition sociale oblige, allaient à l’école laïque et nous nous retrouvions dans la cour de récréation même si une convention implicite imposait qu’en ce lieu, aux caractéristiques sociales fortement marquées, d’autres groupes se formaient par niveaux scolaires où ne se créaient cependant pas les mêmes solidarités. Ceux que je rencontrai plus tard au lycée, allaient, dans ma petite ville très catholique, à l’école des frères et je devins ainsi ami avec ceux là même contre lesquels je me battais quelques mois plus tôt. Beaucoup ont disparu. Mercier d’une méningite à dix ans, mon premier vrai contact avec la mort, Baffie, à quatorze ans s’est tué en voulant explorer seul une grotte dont nous avions commencé à parcourir les veines, Soutou, m’a-t-on dit, s’est suicidé à dix sept ans… Je n’ai jamais cherché à retrouver la trace des autres. La vie nous a dispersés. Moi le premier, l’entrée au lycée, j’étais le seul de la bande, fut une véritable coupure sociale. Il y eut bien quelques tentatives vaines de rapprochement : certains étaient entrés en apprentissage, quelques autres au collège technique, deux ou trois ont suivi leurs parents partis vers d’autres villes. Pourtant, enfants, il nous semblait que rien ne pourrait nous séparer et nous fîmes divers serments en ce sens emportés par le flot des jours. Il nous était inimaginable de ne pas pouvoir être avec les autres dès lors que l’école ou le catéchisme ou un besoin quelconque des grands parents n’exigeait pas notre présence ailleurs aussi, lorsque quelqu’un d’entre nous était puni par ses parents, nous considérions comme la punition suprême qu’il soit interdit de sortie et toute la bande se coalisait pour trouver une façon de le délivrer, soit en le faisant sortir par une fenêtre ou un balcon, soit en envoyant une délégation aux parents pour leur demander, sous un prétexte ou un autre, de bien vouloir laisser leur enfant nous rejoindre. En ce domaine nous avions une imagination fertile : le parent de untel avait besoin de nous tous, le prêtre qui assurait des animations réclamait sa présence à la chorale ou pour les entrainement sportifs, le maître nous avait demandé d’aller chercher telle ou telle plante dans la forêt pour une leçon de chose… Et, la plupart du temps ça fonctionnait. Je crois aujourd’hui que les parents n’étaient pas dupes mais que, dans les appartements minuscules, un enfant qui tournait en rond ou qui n’arrêtait pas de geindre, faisait qu’étant eux-mêmes punis des punitions qu’ils infligeaient, accéder à nos requêtes leur était en quelque sorte une délivrance. Et puis, dans notre vie d’alors, si les parents affichaient des règles pour leur réputation externe ils n’y croyaient que rarement eux-mêmes et ne se sentaient pas vraiment obligés de les respecter. Notre bande enfantine avait ainsi presque toute latitude pour vivre comme elle l’entendait. Ce fut pour moi une enfance merveilleuse dont les multiples anecdotes nourrissent souvent encore mes moments de nostalgie.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité