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Devoir de vacance
12 octobre 2019

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Il est toujours possible de croire en sa gloire posthume, croire que les petits riens que l’on a écrit, le rien que nous avons été durant notre vie, se métamorphoseront comme par magie en quelque chose ayant une certaine importance pour ce que l’on appelle la culture. Belle illusion si lointaine de la pensée de l’enfance. Enfants nous vivions dans l’immédiat, le temps n’avait guère de direction, ni avant, ni après, il n’était que l’instantané du présent. Il n’en est plus de même, car la notion de temps ne se forge qu’à travers les questions que la vie amène à se poser sur lui. Aujourd’hui, elle m’est devenue centrale.

Ce matin, dans le train de banlieue qui m’emmène de temps en temps de chez moi à chez moi, dans cet entre deux de la pensée hésitant entre divagations, méditation et sommeil, au milieu des remugles d’un train bondé mêlent toutes les variétés possibles des odeurs humaines ainsi que les sons de conversations plus ou moins distantes, les sonneries de téléphone et les musiques s’échappant des écouteurs de leurs auditeurs, je me suis pris à rêvasser sur le temps qui pouvait me rester. Non que j’aie des inquiétudes immédiates car je me sens encore physiquement solide même si des rhumatismes aux mains, des crampes assez fréquentes et un nerf qui je ne sais pourquoi frotte désormais sans cesse sur l’os de la hanche de ma hanche droite, me rappellent sans cesse que les jours avancent, que mon corps se transforme, montre des signes de fatigues. Je me disais simplement qu’il était maintenant nécessaire que je me fixe des priorités, que je me demande ce qui, dans mon existence, était prioritaire : ou regarder encore en arrière ou essayer de ne me projeter qu’en avant. Ma décision est prise, de même que j’ai décidé de ne plus participer à des colloques universitaires car, étant parvenu lentement dans un territoire autre, je n’y trouve plus de réel stimulant et n’y rencontre presque que du temps mort, de même j’ai décidé de mettre fin à ces devoirs de vacance. Pas de dépit dans cette décision, de ma vie je n’ai jamais geint me considérant toujours responsable de ce qui pouvait m’arriver. Je n’ai jamais cherché à être un écrivain au sens habituel de ce terme, il est donc naturel que je ne fasse pas partie de leurs paysages. Non que mon cerveau ne déborde encore de souvenirs que je pourrais y déposer mais parce que, il faut bien que je l’admette, ces souvenirs n’intéressent et ne peuvent intéresser que deux ou trois personnes de ma famille et, peut-être, un ou deux amis proches. Je pourrais bien sûr poursuivre sans en tenir compte mais ce serait commettre un péché d’orgueil : croire que mon autobiographie d’enfance puisse échapper au simple radotage et m’imaginer que, si elle n’a aujourd’hui aucun intérêt pour quelqu’un d’autre que moi, il se pourrait, dans un futur quelconque qu’elle passe à cette postérité dont ma collection des très nombreuses œuvres des dix-septième et dix-huitième siècle m’a, depuis longtemps, montré qu’elle n’était qu’une chimère.

Ceci sera donc ma dernière page des devoirs de vacance. Ces vacances n’ont en effet que trop duré.

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