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Devoir de vacance
24 septembre 2019

58

Nous sommes en 1949 ou 1950, j’ai sept ou huit ans. Sept ans me semble-t-il, âge que j’ai toujours entendu qualifier comme celui de la raison : il paraît que je suis désormais capable de distinguer le bien du mal. Le matin on m’a bien lavé et j’ai dû revêtir une culotte courte neuve et une chemisette blanche impeccable. Je suis avec d’autres enfants dans la chapelle des Pénitents blancs. C’est une assez petite chapelle rectangulaire presque sans ornements attenante à une ancienne tour, un des rares vestiges des murailles de la ville. Des pénitents blancs je ne sais rien d’autre que leurs quelques processions, grande croix en tête. Ils ont notamment défilé avec moi lorsque j’étais déguisé en angelot puis en page jetant des pétales de rose au devant des pieds de l’évêque. Ils sont vêtus d’une longue robe blanche d’où ne dépassent que des chaussures et d’une cape de même couleur, ont une large ceinture bleue, leur tête est entièrement cachée dans un long bonnet blanc pointu où, seuls, deux trous ronds leur permettent de voir. Ils ont l’air de fantômes et je les trouve plutôt effrayants bien qu’aucune légende ne dise rien sur leur rôle exact. Mais, cette matinée là, on doit être autour de Pâques, aux environs de onze heures, il n’y a pas de pénitents blancs dans la chapelle, juste une vingtaine d’enfants assis sur les premières rangées de bancs et, derrière, une partie de leurs parents. Seule ma grand-mère est là. C’est la seule de la famille à affirmer une vague religiosité rassurante, du genre « on ne sait jamais ». Ma mère, mes oncles sont absolument athées, mon grand-père est franchement hostile à l’idée même de religion, lui qui joue à coasser quand passent les séminaristes en soutane. On m’a dit que j’allais faire ma première communion pourtant, si mon école maternelle était religieuse, dans mon souvenir, je n’ai encore jamais fréquenté la cathédrale mais, bon, c’est ainsi, on ne m’a pas laissé le choix et je suis là, attendant ce qui allait se passer. Nous avons eu une journée de préparation à la salle Urbain V, la salle de réunion catholique où diverses petites choses nous ont été dites qui ne nous intéressaient guère notamment ce qu’était la communion et comment avaler l’hostie car « c’est le corps de Jésus le fils de Dieu » et il ne faut surtout pas le mordre » mais, cette salle étant ordinairement le cinéma catholique de la ville, nous avons eu droit, en fin de journée, en récompense de notre entrée dans la communauté catholique à un western. Ça valait quand même le coup. Nous voilà dûment chapitrés et reconnus dans le troupeau. En sortant de la salle, nous avons gueulé comme des veaux : « Dieu est un petit homme tout habillé de bleu qui fume sa pipe au coin du feu » et me voilà maintenant dans cette chapelle attendant ce qui allait se passer. Avaler le corps de Jésus me paraît assez étrange mais c’est comme ça. Pas le choix. L’évêque, tout revêtu de rouge, que je reconnais à son couvre-chef lit quelques passages de la bible fait un petit discours sur l’événement est d’après lui, le plus important dans la vie de tout jeune fait son petit discours, mais comme j’ai depuis longtemps développé une forte capacité de retrait intellectuel, je laisse passer le temps. Puis on nous appelle l’un après l’autre, on nous fait approcher de l’autel, il faut s’agenouiller, regarder l’évêque, lui tirer la langue sur laquelle il pose délicatement une petite rondelle blanche qui s’appelle l’hostie et l’avaler. Je connais déjà ce goût car, nous allions souvent, à la porte d’un des couvents de nonne en acheter un petit sachet pour un ou deux sous. Ça n’a pas beaucoup de goût et je comprends alors pourquoi ce que nous vendaient les religieuses étaient des restes autour de trous dans la pâte qui ressemble un peu à du papier et qui colle au palais. Je comprends que l’hostie est découpée dans cette même pâte et que j’ai donc communié déjà souvent sans le savoir. Dans ma famille de mécréants on ne me l’avait jamais dit. Je me demande alors pourquoi cet évêque fait tant de cérémonie autour de cette dégustation. Mais c’est comme ça, bien des rituels des adultes me sont incompréhensibles, donc, je ne cherche pas à les comprendre. Je ne comprends pas non plus pourquoi il donne à chacun de nous une petite gifle avant de nous laisser partir. Tout ça n’a pas duré bien longtemps. Il paraît que maintenant mon âme est sauvée et, franchement, je n’en ai rien à faire.

Ce qui m’intéresse c’est que ma grand-mère m’a promis un livre à la fin de la cérémonie et je l’entraîne vers une des deux librairies de la ville pour me le faire offrir. Ce sera le Capitaine Fracasse d’un certain Théophile Gauthier dont le nom ne me dit rien mais dont le titre me fait penser à une de mes lectures favorites : Les Trois Mousquetaires.

Contrairement aux apparences, je n’ai pas perdu ma journée.

Ma grand-mère me dit que la seconde cérémonie sera, dans cinq ans, la communion solennelle. Je me dis que j’ai le temps de voir venir d’autant que rien ni personne ne m’oblige à assister davantage à la messe dominicale. J’ai communié. C’est une bonne chose de faite, on verra dans cinq ans. En attendant la lecture de mon nouveau livre m’attend.

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