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Devoir de vacance
15 août 2019

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Le temps. Je n’ai aucun souvenir des temps eux-mêmes, ni des dates précises, ni des durées comme si le cerveau, le temps y étant définitivement aboli, mettait tous ses souvenirs à plat. Seules me reviennent des images et des bribes de phrases de faits divers, mais ils sont ponctuels, sans durée réelle ni chronologie et je serais bien incapable de leur affecter une date précise.

Les circonstances des faits, de vagues indices, notamment sur mon âge au moment où ils se sont produits, me permettent d’estimer que j’avais alors huit, neuf ou dix ans. Le fait de me souvenir que mon entrée complète dans la bande se situe l’été entre mon école maternelle et mon école primaire, me permet de lui attribuer une datation approximative mais, était-ce au début des vacances, à la fin, je ne sais. J’ai cependant la certitude totale que cette épreuve a eu lieu mais, si je veux en savoir davantage, creuser au travers des strates de ma mémoire, je ne trouve rien qui me permette de mieux dater.

L’écriture des souvenirs avance ainsi dans un certain brouillard, les images en sont rarement nettes. Il me semble souvent qu’elles se construisent davantage qu’elles ne reviennent au jour, toutes faites.

Je me souviens, par exemple, que, comme il se doit, la semaine scolaire était structurée mais il me semble que, si j’essaie de reconstituer une d'entre elles, il y a, en ce rappel, beaucoup d’imprécisions temporelles. Pourtant j’ai vécu cinq ans sur le même rythme hebdomadaire. Je ne me souviens plus, par exemple, si nous avions congé le mercredi ou le jeudi et seule l’expression que nous utilisions alors « la semaine des quatre jeudis » pour évoquer des vacances me pousse à penser que c’était le jeudi. Je sais, avec une certitude absolue que nous avions, chaque semaine, un après-midi particulier qui nous faisait sortir de la routine et en souhaiter la venue. Cet après-midi là, par beau temps, nous avions ce que nous appelions « après-midi libre » ce qui signifiait que les instituteurs amenaient toutes les classes à cinq cent mètres de l’école, au pied du versant calcaire de la vallée et nous laissaient jouer librement dans les rochers et les forêts qui se trouvaient là. La plupart d’entre nous, rituellement, se regroupaient en deux bandes à peu près égales, petits et grands mêlés pour jouer à la guerre, c’est-à-dire à se munir de bâtons en guise d’armes, à se cacher et à faire le plus de prisonnier possibles. Pendant ce temps, nos instituteurs, assis sur un rocher près de la route discutaient entre eux ne s’inquiétant absolument pas de nous qui grimpaient dans les arbres, sur les rochers, couraient comme des fous sur les pentes herbeuses. Il y avait souvent de petites blessures, genoux écorchés, bosse, mais cela n’avait aucune importance. Impensable aujourd’hui certainement. Le rappel pour le retour se faisait au sifflet. Les journées de pluie ou de neige, cette sortie était supprimée et remplacée par une séance de cinéma dans une grande salle où nous étions tous réunis. L’école avait un petit projecteur et on nous passait pendant une heure ou deux, peut-être moins, je ne sais plus, des films la plupart muets. Souvent un film de « science » — mais j’avoue que je serais bien incapable d’en citer un — et un film des classiques burlesques de l’époque — Charlot, Buter Keaton, Laurel et Hardy — qui créaient une ambiance beaucoup plus bruyante. Pourtant je ne me souviens plus si c’était le vendredi après-midi, ou un autre car je ne me souviens plus non plus si nous avions classe le samedi matin. La seule chose dont je suis sûr, parce qu’elle me concernait directement, était la date de la rentrée à la fin des grandes vacances car elle tombait début octobre, parfois même le 3 octobre, comme pour ma première rentrée à l’école primaire en 1949, le jour de mon anniversaire et que cette obligation de retourner en classe à ce moment-là entachait le plaisir de mon anniversaire.

À quelle date exactement avons-nous utilisé les grenades allemandes trouvées dans le grenier, à quelle date mon premier vélo, à quelle date le bras cassé de mon jeune frère, nos cheveux brûlés, les venues de l'oncle Georges, ma première canne à pêche, notre voiture à pédale ?…

Si j’ai des souvenirs précis de tous ces faits, les situer dans un temps quelconque m’est impossible. Fixés dans un temps flottant, incertain, les souvenirs ne vieillissent pas.

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