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Devoir de vacance
16 août 2019

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Mon acceptation de publier chaque jour sur Facebook une page du roman inédit de Maurice Roman, m’ayant incité à écrire ma propre autobiographie le souvenir métastase dans mon cerveau : je rêve souvenir, m’éveille souvenir, marche souvenir, pédale souvenir, nage souvenir… Je ne suis plus que souvenir.

Ce matin là, avec le grand, nous nous sommes, comme convenu retrouvés devant chez le tonnelier dont l’atelier n’était pas encore ouvert. Il n’y avait pas grand monde dans la rue sur laquelle s’ouvrait l’immeuble où logeaient mes grands parents mais nous avions l’impression d’accomplir une mission extraordinaire, nous nous imaginions un peu comme ces résistants qui, quelques années auparavant, risquaient leur vie en allant simplement à un rendez-vous. Il n’était pas question que nous soyons vus aussi avons-nous traversé la place et tourné à droite pour pénétrer par la petite cour qui donnait sur l’arrière de l’immeuble. Je me souviens presque de chaque pas, comment nous avons d’abord entrebâillé le portail pour s’assurer que personne, dans la cour, ne pouvait nous voir, comment nous avons rasé les murs et regardé attentivement si personne n’était dans les immondes toilettes communes, comment nous avons regardé à travers le croisillon de fonte de la porte donnant accès aux caves. Là, nous avons attendu quelques secondes pour être sûr de n’entendre personne descendre le monumental escalier de pierre et nous sommes montés lentement, comme des sioux. Accéder au premier étage, celui de l’appartement de mes grands parents, était sans danger car ma présence, même accompagnée du garçon que tout le monde dans le quartier considérait comme un petit voyou, y était légitime. Au-delà c’était autre chose. Nous montions lentement faisant très attention de ne faire aucun bruit, car divers bruits dans les appartements montraient que les familles étaient en train de se préparer. Et je suis aujourd’hui persuadé que si quelqu’un nous avait alors surpris dans nos fausses attitudes de sioux, ce comportement, loin de nous protéger, aurait aussitôt paru suspect. Au quatrième étage, le petit escalier latéral de bois qui donnait accès au vaste grenier avait quelques marches branlantes et notre poids ne pouvait manquer d’y déclencher quelque craquement. Je le savais. J’en avais l’habitude. Aussi je fis signe à mon grand camarade de passer derrière moi et de mettre ses pas dans les miens. Sur un fond de crainte, une sorte d’exaltation m’envahissait, j’étais un espion en mission dans un château fort ennemi.

Arrivés au grenier, dans le capharnaüm absolu de ce vaste grenier où s’étaient accumulés quelques dizaines d’années d’objets divers mis au rebus dispersés au hasard par les fouilles successives des gamins de l’immeuble, je savais où j’allais car j’avais caché la petite valise de métal brun kaki portant des chiffres et une inscription que j’ai oubliés, derrière la cabane, qu’avec mon frère, nous avions bâti là à partir de divers éléments de meubles et de cartons abandonnés. Je l’extrayais de sa cachette et la montrai à mon camarade. Il resta un moment à la regarder, la tournant en tous sens puis il me demanda : « tu l’as déjà ouverte ? ». Ma réponse étant affirmative, il leva la poignée de bois qui en permettait l’ouverture. Il y avait une petite structure métallique qui suggérait la possibilité de déposer sept grenades à main, mais elle n’en contenait en fait que deux. C’étaient des grenades à main composées d’une espèce de boîte de conserve de métal fixée sur un manche en bois verni d’une vingtaine de centimètres portant une inscription que j’ai oubliée, terminé par un bouchon à vis métallique. Le grand resta quelques minutes à les contempler. J’étais assez fier de moi, je lui dis : « Tu vois, je n’ai pas menti, tu pourras le dire aux autres… » et je m’apprêtais à reprendre la valise pour la refermer et la redéposer à l’endroit où je l’avais trouvée quand mon camarade me dit : « attends ! ». Il s’empara d’unes des grenades, referma la valise et me dit de la remettre « à sa place ». Il chercha, dans le désordre du grenier dans quoi dissimuler sa prise, trouva assez rapidement un journal dont il enroula avec soin plusieurs pages autour d’elle. Puis : « Viens, vite, on se tire… ». À neuf ou dix ans, la conscience du danger est relative et bien que j’avais, plusieurs fois, vu dans divers films les explosions provoquées par des grenades de ce type lancées par des soldats allemands, l’objet en lui-même me semblait anodin. Ainsi marcher sur un toit à vingt mètres de hauteur ne nous paraissait pas périlleux parce que, de l’endroit où nous étions, nous ne voyions que les toits proches d’en face et non la rue ou la cour où nous aurions pu tomber, c’était une surface comme une autre et ce n’était que d’en bas que nous pouvions prendre conscience de la hauteur à laquelle nous avions marché. Aussi dans nos actions, souvent stupides, le danger n’était qu’une notion théorique réservée aux parents et que nous n’acceptions que comme une leçon de morale parmi d’autres.

Nous avons descendu les escaliers le plus rapidement possible, prenant beaucoup moins de précautions que pour sa montée tant, sûrs du succès que nous allions avoir auprès de la bande, nous étions pressés d’emporter notre trésor et nous allâmes rapidement, au fond de la cour de l’ancien ghetto qui était le lieu le plus discret de rassemblement de la bande. Attendant, très fiers de nous, l’arrivée, qui ne saurait tarder, de nos autres camarades.

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