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Devoir de vacance
6 septembre 2019

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Mon grand-père choisit un emplacement à quelques dizaines de mètres d’une petite digue sur laquelle quelques pêcheurs étaient incrustés puis… Je ne me souviens plus du détail de ce que nous avons pu faire. Certainement, j’imagine, ce que font tous les garçons de neuf et onze ans sur une plage méditerranéenne au soleil : se baigner, ramasser des coquillages, se battre dans l’eau, nager, faire un château de sable… Je sais seulement que nous n’avions aucun des jouets parfois sophistiqués dont disposent les enfants d’aujourd’hui : ni seau, ni pelle, ni masque de plongée, ni palmes, ni bouée. La seule chose sur laquelle mon souvenir est clair est que nous avons obstinément refusé de mettre les maillots que notre grand-mère nous avait tricotés, que nous nous sommes baignés avec nos shorts, les faisant ensuite, sexes cachés sous des serviettes, sécher au soleil, sur le parasol. L’absence d’autre souvenir précis sur cette journée si particulière me porte à penser que, mises à part les quelques minutes de découverte de l’espace maritime, il n’y eut rien de mémorable et que, en fin d’après midi, nous sommes repartis au mas assez tôt pour que, dix neuf heures, horaire impératif du repas de notre grand-père, puisse être respecté.

Ne trouvant pas dans le fait de manger des sandwiches assaisonnés aux grains de sable, de passer des heures allongés en se collant le plus possible, par crainte des coups de soleil, sous l’ombre de notre unique parasol, de supporter le poids écrasant du soleil sur nos têtes, en ayant très vite épuisé les charmes pour nous très relatifs, nous ne sommes revenus à la mer, la semaine suivante, qu’une autre fois. Et je ne me souviens pas que nous ayons insisté pour le faire. Je me demande d’ailleurs aujourd’hui si ce n’est pas dans ces premiers contacts avec la méditerranée que s’est créé ma phobie des plages.

Mes grands parents n’étant pas de l’ère du tourisme, il ne leur serait pas venu à l’idée de nous amener visiter tel ou tel lieu des nombreux lieux des environs aujourd’hui considérés comme touristiques. Je sais d’ailleurs que ces visites nous auraient certainement paru davantage des corvées que des privilèges. Aussi, de ces quelques jours passés dans ce grand mas languedocien je n’ai, pour l’essentiel, conservé que l’impression globale d’un trop long ennui. Tout cet environnement de luxe ne faisait pas partie de notre culture. Et, mise à part, peut-être, ma grand-mère qui avait une extraordinaire capacité à laisser couler lentement le temps sans absolument ne rien faire mais dont je ne peux m’empêcher malgré tout de penser que ses échanges matinaux quotidiens de commère entre voisines devaient lui manquer. Il en fut certainement de même pour mon grand père dont les échanges avec la nature faisaient une grande partie de sa vie et qui, dans cet environnement qu’il ne connaissait pas, privé de pêche, de marches dans la campagne, privé de bistrot et de ses anciens compagnons d’armes, était obligé de se résoudre à une inaction qui ne lui convenait pas d’autant que le village le plus proche ne disposait pas d’une librairie où il aurait pu se procurer un de ces romans policiers qu’il affectionnait. Nous en étions arrivés au point où nous n’arrêtions pas de demander quand nous allions rentrer chez nous. Les copains nous manquaient, la bande nous manquait, notre rivière, nos bois, nos près, nos rochers, notre ville nous manquait, nos magazines quotidiens nous manquaient et, n’ayant rien à faire, avec mon frère, nous ne nous disputions même plus passant nos journées à chercher que faire.

Cependant nous étions otages de la générosité de nos parents : difficile de leur avouer que nous n’étions pas bien dans ce confort qu’il nous avaient généreusement offerts et que la rusticité de notre lieu de vie qu’ils connaissaient bien était, pour nous bien préférable. Difficile de leur avouer que leur offre si généreuse s’était, pour nous, transformée en tourment. Mes grands parents n’eurent donc jamais le courage de le leur dire et de leur rendre leurs clefs. Nous avons donc dû souffrir notre supplice jusqu’au bout et de tout ce long mois de juillet, je n’ai retenu que deux choses : le long ennui de journées identiques et l’éblouissement de la découverte de la mer. Mais un garçon de mon âge, habitué à être toujours débordant d’activités n’est pas porté sur la contemplation, je n’avais pas encore ce goût qui me viendra bien plus tard, de rester assis, en silence, des heures entières dans la contemplation d’un paysage. Il n’est pas à cet âge de richesse intérieure, d’arrières plans culturels suffisants pour ne se nourrir que de soi-même. Tout, dans ce que j’étais, me renvoyait vers la verdure, la variété et la richesse de mon paysage de moyenne montagne.

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