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Devoir de vacance
7 septembre 2019

52

Notre retour dans la bande nous valut une demi après-midi de gloire : aucun de nos copains n’avaient vu la mer, aucun d’entre eux n’avait la moindre idée de ce que pouvait être un grand mas languedocien. Il fallut raconter. Comme, au fond des choses notre expérience avait été plutôt négative, nous ne pouvions dire la vérité. J’ai enjolivé. Mon frère en rajoutait, parfois un peu trop mais quand des auditeurs disait « c’est pas vrai… vous exagérez… » ou n’importe quoi du même tabac, j’arrivais toujours à rattraper la situation. Nous étions allés à la mer presque tous les jours, nous y avions vécu des expériences étonnantes. Mon grand-père, bien connu par sa réputation locale de pêcheur, était vide devenu l’ami des pêcheurs du port et on nous avait emmenés plusieurs fois en bateau, je dis même que mon frère avait le mal de mer et avait vomi, mais il refusa cette présentation et je dus en rabattre un peu « souviens-toi, tu n’avais pas vomi, mais tu avais mal au cœur le jour où la mer était forte et que nous étions sur le corsaire… » Il accepta cette version en faisant la moue car il sentait bien que s’il persistait dans la dénégation nous risquions de perdre toute crédibilité et donc, dans le même temps, la gloire attachée à nos aventures. Alors que nous n’avions vu, à perte de vue qu’une mer étale avec de ridicules vaguelettes, nous avons raconté des vagues que nous n’avions vues qu’au cinéma attribuant à la méditerranée les dangers de l’océan. D’ailleurs nous avions même vu un touriste allemand (pourquoi allemand ?) se noyer sous nos yeux et nous n’avions rien pu faire. Le fils d’un pêcheur de notre âge nous avait appris à diriger un petit voilier et nous étions allés nager au large « on ne voyait plus la côte et nous avons nagé longtemps avant de remonter sur le bateau ». Nous avions rencontré plein d’adolescents de notre âge et avions joué au foot, avec eux, sur la plage. Bref, la  mer était un espace bleu et merveilleux où l’on trouvait toutes sortes de choses à faire, bien plus que dans notre rivière et notre grand-père avait pêché un thon énorme. Je ne me souviens pas aujourd’hui de tout ce que j’ai pu inventer mais je connus un certain succès…

Quant au mas, c’était presque un château que j’avais agrémenté d’une grande écurie et de deux tours ainsi que d’un long souterrain où nous avions découvert l’armure et l’épée d’un ancien seigneur. Les figuiers qui entouraient le mas étaient immenses et nous aimions monter jusqu’à leurs sommets d’où nous pouvions surveiller la totalité du paysage environnant. Il y avait des serviteurs (j’avais un peu hésité sur leur nombre décidant finalement que trois était assez prestigieux tout en restant crédible) qui devaient obéir à nos ordres, quels qu’ils soient et qui nous avaient acheté plein d’illustrés : Spirou, Cœurs vaillants, Mickey, les Pieds Nickelés… mais nous n’avions pas une minute et donc pas trop le temps de lire. Nous montions dans les tours pour jouer à la guerre avec les enfants du village voisin qui étaient très vite devenus des copains, avec lesquels nous avions fait quantité d’explorations notamment de leur rivière où on trouvait des quantités de poissons que je ne connaissais pas et qui nous avaient fait découvrir tous les secrets de leur village. J’avais d’ailleurs beaucoup d’adresses car on s’était promis de s’écrire.

Mais, entre enfants, l’admiration peut être un feu de paille. Nous avions eu notre moment de gloire. C’était acquis, on n’en reparlerait plus. Dès le lendemain la bande reprit ses activités habituelles et, notamment, celles que suscitaient les marchés ou autres foires qui étaient un de nos lieux de maraudes usuels. D’autant que notre beau père devant absolument trouver le moyen de gagner sa vie, notre mère, petit fonctionnaire, n’ayant pas de ressources suffisantes pour deux, avait décidé de devenir marchand ambulant. Il s’était procuré, je ne sais comment, une brouette et avait acheté, je ne sais non plus ni comment ni à qui, un bidons de cent litres d’huile d’olive et trois ou quatre grosses boîtes métalliques carrées de biscuits Lu qu’il se mit à vendre au détail sur le marché hebdomadaire dont je crois, mais je n’en ai pas une certitude absolue, qu’il avait lieu tous les vendredis. Et me demanda, sous la promesse de me faire gagner quelques petites pièces, de l’aider. Ce que j’acceptai avec plaisir, protégeant ainsi, sans qu’il s’en doute sa marchandise des activités de la bande qui n’aurait pas manqué d’être attirée par les boîtes de biscuits ouvertes. Un de nos jeux en effet était de chaparder sur les marchés où quelques commerçants, notamment celui qui vendait « tout à 1 franc » avaient le déplaisir d’être parmi nos cibles favorites. Notre plage horaire préférée était entre 10 et 12 heures, tranche horaire où l’affluence était la plus forte. Feignant des poursuites ou des bagarres, nous courions en criant entre les rangées d’étalages, bousculant les femmes, de préférence âgées et prenant bien garde à éviter les hommes, surtout jeunes, effrayant les commerçants qui craignaient que nous ne renversions leurs étals et qui nous traitaient de tous les noms. Pendant ce temps, ceux qui parmi nous avaient l’apparence la plus candide et la plus policée se glissaient parmi les acheteurs et, dès que le commerçant était occupé à rendre la monnaie ou à commenter les mérites d’un article, s’emparaient de la marchandise la plus proche. De préférence des bonbons, des chocolats, des biscuits ou des babioles sans grande valeur car ce qui comptait ce n’était pas leur valeur marchande mais la réussite d’une expédition.

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