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Devoir de vacance
16 août 2019

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Soixante dix kilomètres de vélo et, durant tout le trajet, je n’ai cessé de revisiter mon enfance. Ce devoir de vacance que je me suis gratuitement imposé et dans lequel l’amitié, l’affection même, de lecteurs que je n’attendais pas là m’enferme. Il serait temps que je pense à autre chose car, qui qu’il en soit, je ne revivrai jamais cette période préférée de ma vie. Dont l’évocation ne va pas sans une certaine nostalgie à la fois si douce et un peu douloureuse tant je me rends compte que j’ai traversé bien des situations sans vraiment les comprendre.

Ainsi je n’ai jamais bien compris quelle était la situation sociale de mes grands parents car, par divers côtés, ils semblaient un peu dénoter dans le paysage et ne me cachaient pas le peu d’estime qu’ils avaient pour certains des parents de mes amis de la rue, la seule prostituée de la ville, par exemple, mère d’un copain de mon âge qu’elle élevait seule bien plus déluré que moi qui m’initia à bien des choses interdites. Ou encore la famille d’un autre membre de la bande dont la famille comptait au moins cinq enfants. Plusieurs de leurs comportements donnaient l’impression d’un certain déclassement. Et pourtant leur mode de vie ne différait en rien de celui des habitants du voisinage même si leur appartement, tel que je l’ai décrit, était bien plus vaste que ceux de la plupart de mes camarades, mais il était au moins aussi peu hygiénique et confortable. Je me suis ainsi souvent demandé, avec un très léger sentiment de culpabilité, car j’ai été parfois témoin de discussion un peu tendues à ce sujet entre ma mère et ma grand-mère, si n’est pas l’obligation dans laquelle ils se trouvaient d’élever deux jeunes enfants alors qu’ils étaient déjà assez âgés qui n’était pas en partie responsable de cette situation. Car, tout le monde, le plus jeune de mes oncles excepté qui était parti très jeune en apprentissage chez un vague parent électricien, avait des diplômes. Ma grand-mère, pendant la première guerre mondiale avait été institutrice auxiliaire dans un village isolé de montagne, ma mère et l’aîné des mes oncles avaient un baccalauréat ce qui, à l’époque, était assez rare et même mon grand-père, sous l’incitation forte de ma grand-mère qui en parlait souvent avait, à cinquante ans, passé son certificat d’études primaires. Quand je l’ai connu il dévorait les livres policiers de la collection Le Masque. Quand à ma grand-mère elle semblait avoir abandonné toute ambition de culture ne lisant jamais rien d’autre que l’inintéressant journal local. Et rien, dans leur mode de vie, ne différait de celui de leurs voisins car le quartier, même si il y avait quelques commerçants, était massivement pauvre. Je me souviens pourtant que, lors de nos nombreuses promenades de la tombée de la nuit, après le dîner — mon grand-père imposait là une loi d’airain, certainement la seule : il fallait manger à dix neuf heures précises — quand nous choisissions la promenade de la rivière, ma grand-mère, inévitablement, nous montrait une grande maison entourée d’un grand pré et disait : « avant-guerre », elle parlait de celle de 1914, « nous voulions l’acheter et nous avions l’argent, puis la guerre est venue et nous avons souscrit à l’emprunt national, nous y avons mis toutes nos économies. Après guerre, nous n’avions plus assez d’argent » À l’époque, bien sûr, cela ne m’intéressait pas vraiment sinon que, certainement parce que c’était plus romanesque ainsi, je m’imaginais que mes grands parents avaient eu une caisse de pièces d’or qu’ils avaient donné à l’état pour battre les boches. Pourtant, au détour de conversations de famille, je croyais savoir qu’ils étaient tous deux d’origine paysanne et que leurs familles avaient été plutôt nombreuse. J’avais cru entendre que l’un d’entre eux avait neuf frères et sœurs. Lequel ?

Repensant à tout ça, je me rends compte aujourd’hui que j’ai toujours vécu ma vie en partie dans le réel, en partie dans l’imaginaire et, aujourd’hui, lorsque j’essaie de mettre de l’ordre dans tous ça, je n’y parviens pas vraiment. Il faudrait faire de vrais enquêtes, établir une généalogie, interroger le cadet de mes oncles, le seul encore vivant, mais je n’en ait pas très envie. Cette situation ambiguë me convient parfaitement.

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