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Devoir de vacance
16 août 2019

30

Manœuvres d’évitement, aujourd’hui tout m’est bon pour ne pas me mettre à écrire et pourtant, il me reste tant à rapporter de ces quatorze ans d’une vie d’enfance pleine. De quoi parler ? Les thèmes se bousculent : les marchés aux bestiaux ou hebdomadaires, nos activités licites, illicites, nos armes et nos combats, nos rivalités entre écoles, nos jeux plus ou moins conscients avec le danger, nos rapports aux animaux, nos résistances aux contraintes extérieure … Procrastination ? Pas vraiment. Plutôt un doute sur l’utilité d’écrire, chaque jour, une page. Un doute sur l’utilité d’écrire. Je n’ai, sur ce point, jamais été clair, comme une peur de ne pas me trouver à la hauteur, de ne pas être vraiment un écrivain, cet être tant surévalué, une vraie peur devant les imperfections et les mensonges des mots et des phrases par lesquels il est si facile de se laisser entraîner. Il est si simple de marcher, pédaler, nager, regarder la télévision, aller au cinéma, voyager… Fuir ainsi ce qu’on ne veut pas voir. Ne plus douter de ses choix de vie, en faire le bilan… Juste un bilan honnête pour quelques proches.

Court instant d’auto-compassion, passons…

Nous avions dans la nature qui enfermait de toute part notre petite ville dans sa vallée étroite, un grand choix de lieux très divers où réaliser, dans une liberté totale, tant les adultes se souciaient peu de nous, la plupart de nos activités. La rivière. La rivière était un ces lieux privilégiés. Je devrais dire les rivières car suivant le lieu où on la rejoignait, dans ce rayon d’environ dix kilomètres qui constituait notre terrain d’action, elle présentait des caractéristiques très diverses. Plus on la remontait à l’est, plus sa vallée se creusait, plutôt abrupte, dans des terrains schisteux creusant ses trous d’eau entre de nombreux rochers, parfois au milieu de forêts denses. Plus on la descendait à l’ouest, plus elle s’élargissait, filant tout droit entre des prairies ou d’autres cultures. La seule traversée de la ville proposait aussi ses lieux d’activité variées. Aussi, dès qu’il faisait beau et que nous n’avions aucune autre obligation nous allions vers elle et, quand nous n’avions pas peur d’être dérangés par des adultes, quels qu’ils soient, car dans cette petite ville toute personne humaine était sous les regards des autres, c’est vers deux lieux que nous nous rendions avec comme centre le vieux pont de pierre en arc d’ogive qui, autrefois assurait l’entrée Nord de la ville. Le premier de ces lieux était, un peu à l’est de ce pont, quelque chose comme une petite plaine d’eau située en face de la sortie des égouts de la ville. Elle avait une profondeur moyenne d’un mètre environ et ne présentait aucune possibilité de plonger. C’était notre lieu habituel de nage, le lieu où la plupart d’entre nous, sous les moqueries de ceux qui le savaient déjà, nous acceptions de nous jeter à l’eau et de commencer à barboter jusqu’à pouvoir enfin traverser la petite zone de quelques mètres où nous n’avions pas pied. Un des jeux favori de la bande était de forcer les choses, s’emparant des plus hésitants, souvent les plus petits, et les jetant à l’eau dans un endroit où ils ne savaient pas nager mais surveillant de façon à pouvoir intervenir si besoin était. Il n’était pas alors question de maillots de bain, je ne sais même pas si nous aurions pu en trouver en ville, nous nous baignions en slip, si nous étions prudes, et nus si nous l’étions moins, car, de toutes façons, nos slips souvent troués étaient si mous, si informes qu’ils descendaient d’eux-mêmes lorsque nous nous jetions à l’eau. C’était un lieu envahi de libellules, il y en avait de toutes tailles et de toutes couleurs qui volaient entre et au-dessus de nous et nous nous amusions parfois à en attraper quelques unes puis à les relâcher en escadrilles. Mais il y avait aussi beaucoup de ce que nous appelions des gendarmes, des araignées d’eau qui nous fuyaient rapidement sur leur longues pattes donnant l’impression qu’elles se terminaient toutes par une bulle d’air ou ce que mon grand-père appelait des mouches d’eau, petits insectes longs d’un ou deux centimètres aux ailes translucide dont il se servait pour ses pêches.

Le second lieu que nous fréquentions le plus souvent était, environ cinq cent mètres en allant vers l’ouest, au-delà du pont de pierre, en aval du petit barrage qui rendait possible notre lieu de baignade, il y avait là peu d’eau, le courant y était plus fort et si nous pouvions nous rafraîchir dans les dix à vingt centimètres d’eau, il n’était pas question de s’y baigner. C’était notre terrain de pêche et de chasse, car il y avait, à portée de main, une foule de petits poissons, des vairons que nous avions appris à piéger soit par une bouteille où nous mettions un peu de mie de pain, dans laquelle ils entraient sans pouvoir ensuite en ressortir, soit en tendant au travers de la rivière un filet à maille fine vers lequel, courant derrière eux nous les précipitions. Il y avait aussi des goujons plus difficiles à prendre ce qui constituait un exploit quand nous en prenions un. Les bord herbeux attiraient quantité d’insectes dont les bourdonnements, les vrombrissements nous entouraient sans cesse, il y avait aussi nombre de libellules, mais aussi une grande variété de papillons de toutes formes et de toutes couleurs auxquels nous ne prêtions pourtant pas vraiment attention. Tous ces animaux étaient là et c’était normal, naturel, évident, nous n’avions à nous en occuper que pour jouer notre rôle d’humain, c’est-à-dire de grand prédateur même si alors, les prélèvements ne portaient pas atteinte à l’équilibre naturel. Tout ceci, aujourd’hui a presque disparu et lorsque je voulus montrer à mes petits enfants ces lieux de mémoire, il me sembla que je les menai dans des paysages morts, d’où tout ce qui en faisait l’éblouissement avait disparu.

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