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Devoir de vacance
18 août 2019

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Ne vous y trompez pas, m’interrogeant sur l’utilité de mes écrits, je ne mendie pas de lectures. Je dis ce qu’est ma vie. Sans plus car, à écrire mes mémoires, autant être honnête. Sinon à quoi bon cette introspection ? Mais passons…

Je ne sais comment cela s’est fait, je ne sais qui des deux, du nouvel élève ou de moi avons abordé l’autre, de ça je n’ai aucune image, aucune mémoire. Montaigne a très bien décrit cela en parlant de son amitié avec La Boétie. Dans mon souvenir je nous vois toujours ensemble mais je suis incapable de dire quand cela a commencé. Son chemin vers l’école et le mien se rencontraient à une petite place de la ville appelée du griffon, je ne sais non plus pourquoi et j’avoue que je m’en suis jamais soucié. Il y avait un bassin de pierre et cinq tuyaux versant de l’eau, le tout surmonté par un tout petit et étrange personnage naïf en bronze. Chaque matin, le premier arrivé attendait l’autre et nous faisions toujours ensemble les cent mètres qui nous séparaient de l’école. Il en était de même à la sortie. Peu à peu notre amitié devenait exclusive et j’ai lentement cessé de participer aux jeux divers de la cour de récréation car il n’avait jamais cherché à s’y intégrer. Je ne me souviens pas de l’avoir vu parler à un autre élève que moi. Je ne crois pas que ce soit par timidité, car dans des quantités d’autres situations il n’était pas timide. Il l’était beaucoup moins que moi qui, en grande partie élevé par ma bande de sauvageons ne savait jamais comment me comporter hors d’elle ou de ma famille. Je pense simplement qu’il était plus mûr que la plupart des élèves de notre classe et qu’il les considérait un peu comme des gamins. Aussi, au fil du temps, nous nous isolions, passions toutes les récréations assis sur les marches de la classe, nous discutions… Nous ne parlions de rien de précis dont j’aurais pu garder souvenir. Non. Je me souviens seulement que nous parlions parce que l’essentiel était d’être ensemble. Bien sûr, en classe, nous étions rivaux, je n’étais plus le seul à savoir répondre à peu près à toutes les questions du maître, à avoir les meilleures notes dans la plupart des matières. Désormais il me fallait compter avec lui mais c’était plus un jeu qu’une rivalité car l’école n’était pas le centre de nos intérêts. Nous étions bons élèves, nous ne faisions pas d’effort pour ça, c’était donc ainsi, sans plus, nous n’y accordions pas plus d’importance que ça n’en méritait.

Je ne sais ce que faisait sa mère. Je pense qu’elle s’occupait seulement de sa famille et de la petite maison qu’ils avaient louée sur le boulevard extérieur à la ville qui reprenait le tracé des anciens remparts. Son père était professeur d’allemand et ce fut la première famille de celles que nous appelions bourgeoises, c’est-à-dire ayant une voiture, une salle de bains et des toilettes, dans laquelle je fus invité. Il avait un frère de l’âge de mon frère mais jamais il n’y eut entre eux d’amitié pourtant ils devaient être dans la même classe. Je ne sais pas. J’allais de plus en plus souvent chez lui sous un prétexte quelconque. Il venait très rarement chez moi. Lorsqu’il venait, c’était généralement pour venir me chercher ou pour me transmettre une message de son père qui proposait d’aller avec lui visiter tel ou tel lieu de la campagne. Son père était passionné d’archéologie, faisait un espèce de recensement des curiosités des environs : dolmens, restes d’implantation romaine, croix de pierre anciennes, etc… et j’appris plus tard par hasard qu’il faisait à ce sujet des publications dans une société scientifique de Toulouse. Peu à peu, cette famille m’ouvrit ainsi, simplement, naturellement, à des quantités de domaines que je ne soupçonnais pas mais qui étaient naturels à mon ami. D’autant que son père discutait avec nous comme avec des adultes et, pour la première fois, je n’étais pas considéré comme un enfant. Il y eut  bien sûr des effets collatéraux car je me détachais de plus en plus de ma bande qui n’était pas loin de me considérer comme une espèce de traître. Mais mon esprit s’ouvrant à bien d’autres choses, je trouvai de plus en plus leurs jeux, leurs discussions, leurs activités comme dérisoires, enfantines et sans grand intérêt. Ce n’était d’ailleurs qu’une anticipation car, l’année suivante, mon entrée au lycée, alors qu’aucun autre membre de la bande, atteignant difficilement le certificat d’étude primaire ou étant entré en apprentissage, n’y avait jamais accédé, qui se faisait alors par concours départemental, me projeta dans un milieu où le professeur d’allemand était loin d’être le bourgeois que j’imaginai et je fus amené — mon statut de « bon élève » m’ouvrait bien des portes dans cette catégorie sociale qui considérait que ma fréquentation de leurs cancres d’enfant, malgré quelques relents de mauvaise réputation que je traînais derrière moi, ne pouvait que leur être profitable — amené à entrer dans bien des maisons qu’auparavant j’osais à peine regarder. Cependant notre amitié était exclusive, il n’était pas question de la partager avec qui que ce soit d’autre. J’eus d’autres camarades qui accentuèrent mon éloignement de la bande mais jamais d’autres amis comme lui. Je me demande aujourd’hui, parfois, si, plutôt qu’amis, nous n’étions pas un peu amoureux l’un de l’autre.

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